1/ Raconte-nous ton parcours de vie
Je suis né dans une famille d’agriculteurs, originaires du Nord de la France, le huitième de neuf enfants. On a grandi dans une vieille maison, avec une seule cheminée, nos chambres n’étaient pas chauffées. Tous mes grands frères travaillaient à la ferme. Une de mes sœurs est devenue institutrice. Quant à moi, après le bac, j’ai un temps pensé devenir prêtre… mais j’ai rencontré Monique, on est tombés amoureux et on s’est mariés en 1974.
J’ai d’abord travaillé comme contremaître et responsable d’une unité agricole. J’encadrais dans les champs ; j’ai aussi appris comment entretenir un bâtiment, j‘ai fait des formations en électricité, et en toiture. Monique et moi avons eu 3 enfants, 1 fils et 2 filles ; et nous avons 5 petits enfants, qui ont entre 15 et 11 ans. Ils nous occupent beaucoup, surtout au moment des vacances !
2/ Comment es-tu devenu bénévole ?
Je crois que vivre à la ferme, ça apprend la solidarité. Et puis ma mère me demandait toujours d’aller aider la vieille voisine d’à côté pour rentrer son tas de bois.
Quand on s’est installés avec ma femme dans notre petit village de l’Oise, j’ai eu envie de m’investir dans les affaires de ma commune. Pas besoin de faire de politique pour ça, il faut juste avoir envie d’agir pour les autres. Alors je suis entré au conseil municipal, et ça m’a plu. De fil en aiguille, je suis devenu responsable du personnel à la mairie. J’ai fait tout ça pendant longtemps de manière bénévole. Plus tard, quand je suis devenu premier adjoint à la mairie, j’ai perçu une petite indemnité.
En même temps, j’ai commencé à faire du bénévolat pour le Secours Catholique local : à l’épicerie sociale, puis en distribuant des colis. Petit à petit, je suis devenu responsable d’équipe locale.
Il y a tellement de manières différentes d’être bénévole. Ici dans notre boutique solidaire, certains préfèrent être à l’arrière pour trier des vêtements ; alors que d’autres préfèrent venir discuter avec les gens. Et puis d’autres encore font les deux. Il faut laisser à chacun la liberté de choisir ce qu’il préfère. Et puis surtout, chacun peut évoluer, avec le temps.
Ce que je préfère, c’est l’accompagnement « longue durée », tel que je le fais aux côtés de Réseau Eco Habitat. Mon style à moi, ce n’est pas d’être là dans l’urgence, mais d’être là au contraire sur le long terme, être là pour écouter les personnes. Je suis là pour aider la personne en la faisant grandir un petit peu, en la faisant « se dépasser » ; plus la personne grandit, et plus ça me réjouit.
3/ ta rencontre avec « Réseau Eco Habitat » ?
Franck Billeau avait lancé Réseau Eco Habitat en 2014, et il était venu raconter son action en 2016 au Secours Catholique de Clermont de l’Oise. Je me souviens, il était venu accompagné de la SICAE (fournisseur d’électricité dans l’Oise). Franck avait déjà à son actif une première réalisation, la vidéo d’un premier chantier. C’était vraiment inspirant !
Du coup, j’ai invité Franck à venir présenter l’action de REH à mon équipe locale.
4/ Peux-tu nous raconter l’histoire d’Hélène, que tu as accompagnée avec REH ?
Hélène c’est une dame très discrète de 64 ans, je la croisais comme bénévole localement depuis plusieurs années. Et puis un jour elle est venue me confier dans quelle situation elle vivait avec son mari : une maison insalubre (infiltrations, moisissures, froid) dévorée d’humidité, et sans chauffage.
Hélène a élevé ses 3 enfants et assuré des emplois à temps partiel (garde enfants, entreprise de nettoyage…). Depuis 4 ans elle est victime d’une maladie handicapante. Ses soins se font à domicile. Son mari, qui est en invalidité, et maintenant retraité.
Leurs conditions de vie étaient très difficiles car la chaudière gaz était tombée en panne, les moisissures envahissaient la maison. L’appoint de chauffage ambulant (pétrole) ne faisait qu’aggraver les désordres constatés. La famille se restreignait dans son chauffage pour ne pas avoir de facture trop importante.
J’ai compris que Réseau Eco Habitat allait pouvoir l’aider, mais que cela allait être long.
REH nous a bien expliqué, à la famille comme à moi, que le travail d’ingénierie sociale financière et technique déployé par l’association, nécessaire pour construire le projet et le rendre faisable, ne suffisait pas sur le plan humain et psychologique. Il faut en plus, aux côtés d’une famille en souffrance, un « tiers de confiance » : quelqu’un de volontaire pour accompagner dans la durée sur le plan psychologique, humain, sans quoi les familles finissent par se décourager ou ne plus avoir confiance.
Je sentais qu’Hélène était en souffrance, alors j’ai accepté volontiers d’être ce « tiers de confiance ».
Avec son mari au début, les relations n’étaient pas faciles du tout. Mais j’étais là pour accompagner, c’est-à-dire écouter sans juger, quel que soit le comportement. Par exemple, il n’ouvrait jamais ses relevés de banque : « je n’ai pas d’argent, à quoi ça servirait ?». J’ai dû le convaincre de les ouvrir pour qu’on puisse étudier ensemble leurs dépenses, les maigres rentrées d’argent, et faire ensemble leur budget, point de départ nécessaire pour le projet.
5/ Ca prend combien de temps d’être un « tiers de confiance » ?
Accompagner une famille, ça veut dire pouvoir aller boire un café de temps à autre. Et sinon, téléphoner très régulièrement. Quelquefois, j’avais besoin de passer chez Hélène 2 à 3 fois par semaine, quand il y avait des paperasses à faire ; mais quelquefois je n’avais plus de contact physique pendant 2 mois, car les dossiers administratifs suivaient leur cours. J’ai dû leur apporter une aide administrative importante : créer un compte en ligne sur le site de l’Anah, choisir un mot de passe, déposer des documents en ligne…
L’important c’est d’être présent dans la durée. Dans le cas de cette famille, il a fallu au total presque trois ans, depuis la première conversation avec Hélène jusqu’à la fin de réalisation des travaux. Mais dans le cas de cette famille, c’est le temps qui a été nécessaire pour venir à bout de tous les obstacles qui se sont dressés : au premier plan, des obstacles psychologiques et humains, et puis bien sûr aussi des obstacles sociaux, administratifs, financiers, techniques.
6/ Qu’est-ce qu’il y a eu de plus difficile pour toi ?
Ma hantise dans cet accompagnement au long cours, c’était de les décevoir, d’avoir fait naître l’espoir et de ne pas pouvoir aller au bout ; j’avais peur que le « reste à charge » soit trop important. A chaque étape, il y a eu des bonnes nouvelles, et puis aussi des interrogations.
7/ Après les travaux, quel est l’impact de cet accompagnement sur la famille d’Hélène ?
Aujourd’hui, le changement est vraiment radical pour toute la famille d’Hélène : les travaux ont permis de refaire toute l’isolation, la toiture, les murs, et de changer le système de chauffage. La maison est enfin décente, et ils ont enfin chaud l’hiver. Un des fils, sans emploi, est revenu vivre à la maison.
Hélène dit qu’elle se sent heureuse car elle peut enfin recevoir sa petite fille, en situation de handicap, dans une maison enfin chauffée et décente qui ne sent plus l’humidité.
Sur un plan plus intime, je dirai qu’Hélène qui s’est toujours occupée des autres sans jamais s’occuper d’elle-même, a senti que cette fois-ci quelqu’un s’occupait vraiment d’elle, une association travaillait pour elle, c’était elle qui était importante. Elle est très émue de ce qui est arrivée, elle va mieux, et elle est contente de pouvoir vieillir avec son mari dans sa maison enfin rénovée et chauffée.
8/ Tu veux former d’autres bénévoles ?
Oui, maintenant je veux passer plus de temps avec mes petits-enfants, j’ai 70 ans, il est temps pour moi de passer le relais. Alors je suis en train de passer la main à un bénévole plus jeune, Alain, qui a une cinquantaine d’années et qui travaille encore. Je suis content car la relève est bien là !